jeudi 5 mai 2011

Pollution


Liban

Pour une réhabilitation « écologique » du dépotoir de Saïda

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Par Suzanne BAAKLINI | 05/05/2011

Le dépotoir de la ville tel qu’il est actuellement.
Le dépotoir de la ville tel qu’il est actuellement.
Environnement La municipalité de Saïda compte remblayer une grande partie de la plage au niveau de l'actuel dépotoir de la ville. L'association Bahr Loubnan dénonce un projet « antiécologique » et propose sa propre alternative.

Le dépotoir de Saïda, une catastrophe écologique vieille d'une quarantaine d'années, est situé sur une plate-forme rocheuse à même la mer, à l'entrée sud de la cité. La polémique entourant ce site n'est pas terminée, puisque le dépotoir est toujours ouvert aux déchets provenant de la ville et des camps palestiniens environnants, même s'il est désormais fermé aux autres municipalités. Toutefois, la question de la future réhabilitation du site est déjà sur le tapis. En effet, la municipalité de Saïda parle d'un projet global qui est déjà conçu, adjugé à une société et approuvé en Conseil des ministres. Mais pour démarrer les travaux, elle a besoin d'un décret gouvernemental.
Ce projet, tel qu'il nous a été présenté par la municipalité (voir L'Orient-Le Jour du 12 avril), consiste à construire une jetée pour encercler le dépotoir afin d'empêcher son effondrement dans la mer (ce qui arrive souvent actuellement). Cette jetée, ou ce mur, ira jusqu'à l'usine de traitement des déchets (toujours inopérante), située plus au sud, en formant un demi-cercle dans la mer. Tout cet espace, d'une superficie d'environ 500 000 m2 d'eau, sera ensuite remblayé. À ce propos, la municipalité a précisé que les débris, qui constituent une partie importante du dépotoir actuel, seront utilisés pour le remblayage. La superficie gagnée sur la mer, ajoute la municipalité, sera utilisée pour y établir des cafés et des activités récréatives pour la ville. Le coût total estimé du projet est de 29 millions de dollars, dont 20 millions sont déjà assurés par l'Arabie saoudite et 9 millions qui doivent être versés par l'État.

Rima Tarabay, vice-présidente et fondatrice de l'association écologique Bahr Loubnan, dénonce les lacunes de ce projet qu'elle juge « antiécologique ». « En plus du remblayage de toute cette partie de la mer, le projet prévoit ultérieurement d'agrandir le port y attenant, dit-elle. Les conséquences de ce projet sont catastrophiques sur le plan environnemental. Selon l'Atlas du Liban (édition de 2007), la ligne artificialisée de la côte en 1962 était de 11 %, elle est devenue de 48 % en 2003. La côte souffre depuis de nombreuses années d'une folie de construction. Un tel projet à Saïda ne ferait qu'accentuer le problème. »
L'écologiste s'étend sur les conséquences « irréversibles » du remblayage lui-même, sur le littoral et l'écosystème marin. « Le plateau continental de la côte libanaise est très étroit, explique-t-elle. Son remblayage et son artificialisation anéantiront la zone où se trouve le phytoplancton (organisme principal à la base de la chaîne alimentaire des créatures marines). C'est là qu'il se multiplie et produit les éléments nutritifs. Le remblayage de la mer poussera la région productive dans une zone beaucoup plus profonde où les rayons du soleil n'alimenteront plus cette production, ce qui aboutira à l'appauvrissement de la faune et de la flore. De plus, les courants transportent les nutriments qui sont essentiels à la survie des espèces marines. Tout changement apporté à ces courants emportera ces éléments nutritifs vers d'autres endroits, d'où un risque d'extermination de la biodiversité marine dans la région. »
Le phytoplancton ne sera apparemment pas la seule victime du remblayage. « Les modifications de la côte mèneront à l'érosion des plages des deux côtés de la zone remblayée, poursuit Rima Tarabay. La modification des courants, donc celle du transport des sédiments, dont le rôle essentiel est de réapprovisionner les plages en sable et galets, leur assurant ainsi un équilibre de protection, affaiblira les propriétés physiologiques des plages qui ne pourront plus jouer leur rôle de première ligne de défense contre les risques naturels d'origine marine. Les vagues, au lieu de s'étaler sur toute la plage, devront s'abattre plus violemment sur ce mur en béton, causant des inondations en cas d'intempéries. »
À tout cela, Rima Tarabay ajoute que le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), qui prendra en charge la première phase du projet (construction de la jetée) et la seconde (remblai de toute la superficie), compte utiliser les remblais provenant de la décharge elle-même, donc mêlés à toute sorte de déchets accumulés au cours des années (ménagers, hospitaliers, issus d'abattoirs...).

Un jardin sur mer
À la lumière de tous ces arguments, la vice-présidente de Bahr Loubnan assure que son ONG a apporté sa propre vision des choses aux responsables. « La réhabilitation des sites pollués est en principe du ressort du ministère de l'Environnement, dit-elle. Mais Bahr Loubnan a proposé au bureau du Premier ministre un projet pour la réhabilitation du dépotoir et sa transformation en jardin public. »
Interrogée sur le processus permettant d'arriver à ce résultat, Rima Tarabay évoque plusieurs étapes : la première consistera à trier les anciens déchets pour en tirer les matériaux recyclables et récupérer le biogaz pour réduire la pollution qui en émane. Les déchets non recyclables seront décontaminés et enfouis dans un site aménagé. Après cette réduction conséquente du volume de déchets « en respect des normes », le site sera profondément nettoyé.
Pour préparer ce projet alternatif, Bahr Loubnan a eu recours à la société de consultants Le Floch. Dans son étude, celle-ci estime que « plus de 90 % du volume des déchets de la montagne de Saïda peut être revalorisé », ce qui ne laisse que 10 % à enfouir. Ce n'est qu'en troisième lieu que la plate-forme rocheuse initiale sera aménagée en jardin public. La réalisation de ce projet prendrait environ trois ans et son coût prévu est de 10 millions d'euros, donc trois fois moins cher que pour le projet de la municipalité.
« L'avantage de ce projet, c'est qu'il sauve la plage de sable qui se trouve à proximité de la décharge, affirme Rima Tarabay. La ville n'a que très peu de plages qui restent, en raison de la construction de la corniche marine qui a gagné sur le domaine public. Nous pensons qu'une plage intacte constitue non seulement un gain au niveau écologique, mais aussi un atout économique, puisqu'elle attire les touristes, et social parce qu'elle sera fréquentée par la population locale. Même avec l'extrême dégradation du site, les Sidoniens continuent à fréquenter cette plage. Ils auront en prime un jardin public, ce qui n'existe pas actuellement dans la ville. Pour les cafés, il y a beaucoup de place derrière la plage, de l'autre côté de la route. »
Rima Tarabay pense surtout que le projet proposé par son ONG évitera toute construction en dur dans la mer ou sur la plage. « Une jetée n'est pas nécessaire pour empêcher l'effondrement des déchets, nous pouvons revêtir le dépotoir d'une géomembrane très fine au cours de sa réhabilitation », explique-t-elle.

Obstacles politiques
Proposer un projet qu'elle considère comme plus écologique que celui initialement présenté par la municipalité ne suffira pas à l'ONG pour imposer son point de vue. « Je crois que les responsables municipaux et les députés de Saïda pensent sincèrement que leur projet fera du bien à la ville en lui faisant gagner du terrain, souligne Rima Tarabay. Il faudrait les convaincre que le remblayage de la mer n'apportera aucun atout à la ville, bien au contraire. Une réhabilitation écologique fera de Saïda un modèle à suivre pour Beyrouth et toutes les autres cités. »
Pour arriver à intégrer son idée dans le circuit, Bahr Loubnan compte poursuivre son lobbying auprès des deux députés de Saïda, Bahia Hariri et Fouad Siniora, ainsi qu'auprès des responsables concernés, comme le ministre des Travaux publics et des Transports, par exemple. La bataille n'est pas gagnée d'avance, l'autre projet ayant fait son chemin dans les esprits. Rima Tarabay assure cependant que son ONG n'allait pas baisser les bras pour autant.

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